Le 19 juillet 2016, la commission d'enquête sur la Ligne 18 a rendu public son rapport d'enquête. Elle émet un avis favorable avec trois réserves et dix recommandations, toutes plus insignifiantes les une que les autres.

Cet avis est consternant de parti pris ! Il ne fait pas de comparaison 'sans projet' vs. 'avec projet' et n'évoque aucune solution alternative. Force est de constater que toute la "consultation" du public a été organisée de façon à aboutir au résultat escompté : manifestement, la commission d'enquête avait décidé à l’avance qu’elle allait donner un avis favorable. D’ailleurs, un de ses membres a dit au cours de l’enquête que la commission ne pouvait pas donner un avis défavorable. D’où l’alignement sur les propos du maître d'ouvrage, la Société du Grand Paris (SGP) – même si, pour la bonne forme, la commission émet des critiques sur certains points, sans que cela ne se traduise par des rejets autres que les trois réserves insignifiantes. En gros, si la SGP avait écrit que la Terre est plate, la commission aurait jugé que la Terre ne peut pas être ronde...

Comme de nombreux autres intervenants au cours de l'enquête publique (cf. notre recueil des avis déposés), COLOS a émis un avis circonstancié sur ce projet – présentant notamment des solutions alternatives bien plus rationnelles et bien moins onéreuses – que la commission d'enquête a entièrement glissé sous le tapis. Ainsi, le rapport d'enquête escamote entre autres les problématiques suivantes :

  • la saturation routière du territoire desservi (autrement plus importante que sa desserte par un métro) ;
  • la lourde facture énergétique du métro ;
  • le mythe que ce métro va faire gagner du temps ;
  • la faiblesse du transfert modal et du désengorgement du RER B qu'apporterait le métro ;
  • la provenance des usagers du plateau de Saclay (seuls 22 % de Paris et de la petite couronne) ;
  • l'inadéquation d'un transport lourd avec la faible densité de population du territoire ;
  • le décalage temporel important entre l'arrivée des nouveaux usagers et la disponibilité du métro ;
  • les moyens et le temps nécessaires pour assurer la desserte du "dernier kilomètre" ;
  • la faiblesse du besoin de liaisons performantes avec les aéroports.

Concernant le coût de l'opération, la commission d'enquête "raisonne" que ce n'est pas trop cher puisque, rapporté au kilomètre, ce coût est moins élevé que celui de la Ligne 15 ! L’aspect coût d’exploitation est totalement ignoré dans ce dossier.

Quant au manque de rentabilité de la Ligne 18 due à la faiblesse de la clientèle dans un territoire très peu dense, la commission d'enquête a jugé bon de prôner la fuite en avant :

"La rentabilité de ce métro n’apparaissant pas robuste notamment sur le tronçon CEA-Saint-Aubin – Versailles-Chantiers, la commission d’enquête considère qu’il conviendra de réaliser au plus tôt – et si possible avant 2030 – le prolongement ultérieur Versailles-Chantiers-Nanterre afin de relier le plus rapidement les pôles financier et scientifique, et d’asseoir sa rentabilité, conférant alors une dimension de véritable rocade régionale à cette ligne 18."

Et maintenant ?

Normalement, le prochain épisode de cette saga du projet de Ligne 18 sera la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet par un décret après passage en Conseil d'État. D'après la SGP, ce décret sera publié avant les élections présidentielles. On est toutefois en droit de s'attendre à ce que le Conseil d'État examine ce dossier avec davantage de recul et un esprit plus critique que la commission d'enquête. 

En effet, le Conseil d'État se doit de tenir compte du rapport annuel 2017 de la Cour des comptes, qui dresse un tableau très sombre de 48 pages sur l'avenir du projet Paris-Saclay. Ce rapport très critique met en évidence un fort risque de voir tourner ce projet au fiasco, ce qui rendrait absurde sa desserte par un métro. D'ailleurs, la Cour estime que les mesures prises pour améliorer la desserte du plateau laissent beaucoup à désirer : "les projets de TCSP nord-sud et de téléphérique entre la vallée et le plateau ne sont pas encore définis, alors qu’ils sont déterminants pour la communication entre l’université Paris-Sud, installée dans la vallée, et les écoles, sur le plateau." La Cour évacue la Ligne 18 en une seule phrase, disant qu’elle arriverait de toute façon beaucoup trop tard ; elle montre que d'ici 2020, 9000 étudiants supplémentaires vont débarquer sur le plateau et ne pourront pas tous y être hébergés, ce à quoi s'ajouteront des chercheurs et autres personnels. D'où l'urgente nécessité de déployer des solutions alternatives à la Ligne 18, plus pertinentes et respectueuses des finances publiques, que nous avons proposées dans notre avis. La position de la Cour est cohérente avec celle affichée dans son rapport annuel 2016, où elle estimait que les projets alors évoqués – notamment le Grand Paris Express, le CDG Express et l’extension du RER E – se heurtent à des difficultés financières et techniques qui ne permettent pas de lever les incertitudes sur l’avenir des réseaux ferroviaires franciliens, si bien qu'elle recommandait de maintenir la priorité absolue donnée à l’entretien du réseau existant. Pour la Cour des comptes, la Ligne 18 n'était donc pas une priorité en 2016, elle doit l'être encore moins aujourd'hui.

Notons par ailleurs que DUP ne signifie pas encore début des travaux : le projet d'aéroport à Notre Dame des Landes est déclaré d'utilité publique depuis longtemps mais sa réalisation reste incertaine et en avril 2016, suite à un recours, la DUP de la ligne de TGV Poitiers-Limoges a été annulée pour défaut d'utilité publique et compte tenu de l'existence d'une solution alternative beaucoup moins onéreuse. 

Au cas où la DUP de la Ligne 18 serait en effet proclamée, les associations déposeraient très certainement un recours contentieux contre cette DUP. Un ensemble d’associations du plateau a constitué un collectif informel d'action juridique (Saclay Citoyen), qui a entrepris plusieurs actions en justice, notamment :

  • un recours gracieux, puis un recours contentieux ont été déposés contre la DUP de l'aménagement du secteur de Corbeville ; pour ce secteur, il n'existe pas de projet d'aménagement précis et la DUP a été prononcée en recourant à une procédure simplifiée ;
  • une "pétition européenne" (équivalent d’un recours en France) a été soumise pour protester contre le non respect de différentes directives européennes, dont celle qui condamne le saucissonnage des "concertations" : entre autres, il est tout à fait aberrant qu’on fait une enquête publique sur la Ligne 18 sans jamais avoir discuté du bien-fondé de l’opération Paris-Saclay, dont nous estimons qu’il se traduira par un échec retentissant du simple fait de son gigantisme ;
  • un recours contentieux a été déposé contre la prorogation de la validité de la DUP du projet de requalification de la RD 36 ; cette DUP, datant de 2011, était arrivée à expiration et, étant données les nombreuses évolutions intervenues par la suite (dont le projet de la Ligne 18), elle ne pouvait être prorogée sans nouvelle enquête publique.

Saclay Citoyen a également lancé une pétition "Stop au béton sur les terres agricoles du plateau de Saclay", demandant au Premier ministre de suspendre les aménagements en cours sur le plateau de Saclay tant que les procédures juridiques engagées sur le plan national et européen ne seront pas achevées.

De leur côté, les maires des communes riveraines du tracé de la Ligne 18 entre Saclay et Magny-les-Hameaux ont également décidé d'attaquer par un recours contentieux la DUP de la Ligne 18 dès la publication du décret correspondant. 

Le dessous des cartes : l'urbanisation massive du plateau de Saclay

Il devient de plus en plus clair que le but ultime de ceux qui nous gouvernent est d'urbaniser intégralement le plateau de Saclay, si bien qu’on aura in fine affaire à une gigantesque opération immobilière. La zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF) avec ses quelque 2300 ha de terres agricoles "sanctuarisées" – dont les associations ont arraché l'inscription dans la loi du Grand Paris en 2010 – n’aura alors été qu’un leurre pour faire avaler la pilule du métro.

Ce n'est sans doute pas par hasard que la SGP ne veut pas entendre parler d'enterrer le métro à l'ouest de Saclay : rajouter des gares à un métro souterrain est beaucoup plus difficile que pour un métro aérien.

La perspective du bétonnage complet du plateau de Saclay figurait déjà depuis 2003 dans les projets de Christian Blanc, qui disait sans ambages vouloir mettre fin à la vocation agricole du plateau ; dans son projet présenté en novembre 2008, comme il avait pris conscience que les habitants du territoire sont très attachés à leur environnement agricole et naturel, il leur laissait un lot de consolation sous forme d'un parc de 800 ha.

Or, au niveau de l'État, cette intention n'a pas vraiment été abandonnée.

Aussi n'est-il pas surprenant de voir évoqué de temps à autres le "bassin d'emploi Versailles-Saclay". C'était déjà l'idée sous-jacente au projet de l'État de créer une intercommunalité de 800 000 habitants allant de la plaine de Versailles jusqu'à Épinay-sur-Orge, que les élus ont heureusement rejeté.
La même idée revient dans le Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) introduit par la loi NOTRe, adopté par la Région Île-de-France le 14 décembre 2016, qui confie à l'EPAPS sur le bassin d'emploi Versailles-Saclay une mission de réflexion sur les conditions de développement d'une offre immobilière et de services en direction des entreprises innovantes.

Or, aujourd'hui, il n'existe pas de bassin d'emploi Versailles-Saclay. L'excellente étude des bassins de vie et d'emploi du Grand Paris, Le Grand Paris des Habitants, réalisée pour l'Atelier International du Grand Paris (AIGP) par l'équipe de l'architecte-urbaniste Christian Devillers, montre clairement que Saint Quentin en Yvelines forme un bassin de vie et d'emploi avec Versailles, alors que Saclay fait partie d'une autre bassin de vie et d'emploi, qui s'étend d'Antony aux Ulis, les liens entre ces deux bassins étant extrêmement lâches. Cela se reflète d'ailleurs dans la très faible fréquentation de la frange sud du plateau par des usagers yvelinois : ils ne représentent que 8 % du total, chiffre sur lequel il faut encore défalquer les usagers ne provenant pas du bassin Versailles-Saint Quentin, notamment ceux habitant la vallée de Chevreuse. On trouve le même constat dans l'avis sur la Ligne 18 de Jacqueline Lorthiois, urbaniste et socio-économiste, spécialiste de l'analyse des équilibres emploi/main-d'œuvre en Île-de-France :

"Aucun flux important n'apparaît entre le bassin de l'Essonne (Massy) et les bassins des Yvelines (Saint-Quentin et Versailles). Ni dans un sens, ni dans l'autre. Ce qui semble montrer une segmentation du territoire en 3 bassins autonomes, à l'opposé d'une vision d'un « grand territoire plateau de Saclay », concept ne reposant pas sur ce qu'on appelle un « territoire vécu » (correspondant aux pratiques des habitants). D'où une demande inexistante d'un grand axe de transit."

Bien sûr, on nous fait miroiter que la ZPNAF est pérenne puisqu'elle bénéficie du plus haut degré de protection possible, celui de la loi. Mais une loi n'est jamais intangible, celle du Grand Paris a déjà été modifiée plusieurs fois. Il ne fait aucun doute pour nous que la réalisation du métro de la Ligne 18 – qu'il soit aérien ou souterrain – constituerait un vecteur d'urbanisation irrésistible, entraînant inexorablement la disparition du plateau agricole.