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"L'EPA Paris-Saclay repense l'architecture d'Île-de-France." "Paris-Saclay montre la voie de nouveaux rapports entre ville et nature, monde agricole et monde urbain." Rien de moins !

Voilà de quoi surprendre ceux qui constatent la simple juxtaposition de gestes architecturaux disparates – alors que l'architecture d'Île-de-France se caractérise plutôt par une certaine unicité de styles – et qui ne sont pas frappés par la qualité de vie extraordinaire régnant sur ce gigantesque campus, fut-il encore quelque peu en devenir.

Qu'en pensent les architectes-urbanistes, du moins ceux qui ne sont pas juge et partie ?

 

En juillet 2018, l'architecte Roland Castro travaillait sur son rapport Du Grand Paris au Paris en Grand, commandé par le président de la République, publié quelques mois plus tard. Au sujet de Paris-Saclay, il déclarait alors : "Il faut qu’on puisse en faire un vrai quartier latin". Très récemment, à l'occasion de la Biennale d’architecture et de paysage d’Île-de-France, il en a remis une couche en "dézinguant le plateau de Saclay", c'est-à-dire qualifiant Paris-Saclay de lieu "invivable", "infernal" avec ses "six boutiques à frites", à côté duquel "Nanterre, c’était bien". Il n'a pas mâché ces mots sur la qualité architecturale de l’un des bâtiments, qui montre une structure "immonde" à l’extérieur mais magnifique à l’intérieur : "Comment faire en sorte qu’on n’ait pas envie de rentrer dans un bâtiment dont l’intérieur est resplendissant. C’est le comble de la perversion !" Il a préféré ne pas identifier ce bâtiment, ce qui nous laisse avec un grand énigme car il n'y en pas qu'un qui répondent à ce signalement…

 

Avant lui, l'architecte Christophe Leray, dans un article d'octobre 2017 intitulé Saclay, la ville qui n'existe pas, avait déjà décrit les incohérences et défauts de conception de Paris-Saclay, en poussant plus loin l'analyse. Il notait que


"Le péché originel du projet est que l’échelle du ‘campus’ de Saclay n’est pas celle d’un campus mais celle d’une ville. Sauf que son développement n’est pas envisagé comme celui d’une ville mais comme celui d’un campus, les écoles venant en premier, puis les résidences étudiantes, puis les logements familiaux et les équipements, comme au XIXe siècle aux États-Unis. Sauf qu’en réalité naît une ville nouvelle qui ne dit pas son nom, sans commerces, ni transports, ni théâtre, etc."

Et citait un collègue ayant travaillé sur le site, qui raillait le gigantisme de l'opération :

"On crée une ville asiatique quand nous aurions eu besoin d’un village gaulois d’avant-garde."

Au sujet des circulations, il remarquait, ironiquement :

"À Saclay, elles sont brutales et, souvent à la demande des habitants, quasiment toutes dédiées à la voiture. Ce qui, en 2017, pour un campus consacré à la recherche et l’innovation, montre une capacité de prospective assez prodigieuse."

"Il y a bien une station de métro de prévue sur la ligne 18. Encore que…"

En effet, les aménageurs de Paris-Saclay continuent à prendre le problème de la desserte par le mauvais bout. Ils pensent que le métro de la Ligne 18 va résoudre tous les problèmes d'accès – et cela d'ici 7 ans ou plus –, alors que son utilité, si la ligne devait se réaliser, serait marginale au mieux : elle fournirait un moyen de transport supplémentaire entre Paris et Saclay, mais ne servirait strictement à rien pour les dessertes de proximité, dont le besoin est largement majoritaire. En revanche, son coût serait tout sauf marginal : près de 4 Md€ sur le papier, plus probablement entre 5 et 6 Md€ dans la réalité. Par conséquent, on voit mal comment l'évaluation socio-économique de la Ligne 18 pourrait produire un résultat favorable, ce qui a pourtant été le cas. Nous avons approfondi cette question, à l'appui d'une analyse critique circonstanciée montrant en effet que cette évaluation était biaisée de manière à produire le résultat escompté.

 

Encore auparavant, en novembre 2013, l'architecte Michel Cantal-Dupart, dans VIVRE UN GRAND PARIS «Note ouverte» au Président de la République sur le Grand Paris, témoignait de sa piètre appréciation de la conception de Paris-Saclay :

"Sur le plateau, on prévoit une population estimée à trente mille personnes. Il est demandé aux communes de construire des écoles, des équipements de service, des restaurants, lieux culturels, … et l’on verra après. On regroupe des établissements pensant que, mitoyens, ils vont se côtoyer. Pensez-vous ! Pour que tout cela arrive il faut secréter le désir. Je ne sens pas poindre cette préoccupation, pas de magie ni de hauts lieux, l'esprit d'Irène Curie et de Frédéric Joliot, qui ont inventé ce lieu, est bien loin. Cette vision est appréhendée de façon tellement éphémère qu'on oublie les cimetières nécessaires. Robert Auzelle qui a beaucoup écrit sur ce sujet doit se retourner dans sa tombe ! Le Directeur de cet établissement public [ndlr : Pierre Veltz] écrivait, dans une vie antérieure, que l’aménagement devait prendre le temps de la Solidarité, le temps du Savoir et le temps de la Mémoire. Aux commandes, il oublie sa leçon, aux élus de la lui rappeler !"