Nous l'avons répété maintes fois : implanter une ligne de transport lourd en territoire périurbain est un contre-sens. Jean Vivier, ancien directeur des études de la RATP, le formule ainsi : "Il n’y a pas d’exemple dans le monde de métro desservant des zones périphériques où la densité ne dépasse pas 100 habitants+emplois par hectare". Ceci est particulièrement pertinent pour le métro de la Ligne 18 – stigmatisée dès le départ comme la ligne de loin la moins fréquentée du Grand Paris Express –, qui devrait traverser le plateau agricole et naturel de Saclay d'est en ouest : si ses extrémités, Versailles et Massy, remplissent cette condition, sur toute la partie centrale de cette ligne, la densité ne dépasse pas 6 habitants+emplois par hectare.

Devant cette totale inadéquation, les partisans de la Ligne 18 ne peuvent recourir qu'à des subterfuges irrationnels enveloppés dans un semblant de plausibilité permettant de faire illusion. Exemple : il est dit (par des responsables haut placés) que le projet Paris-Saclay a besoin d'une "épine dorsale". Or, le propre d'une épine dorsale est de soutenir et innerver le corps qui l'entoure ; mais en l'occurrence, les terres agricoles du plateau de Saclay n'ont nul besoin d'être soutenues par une ligne de métro – qui ne ferait que compliquer leur exploitation –, ni d'être innervées par elle, qui ne fait que passer sans s'arrêter, si bien que les quelques habitants riverains n'en tireraient aucun bénéfice et seraient au premier rang pour en subir les nuisances. Cette doctrine de l'épine dorsale est d'autant plus absconse que nous savons qu'entre les bassins de vie et d'emploi que relierait ce métro, il n'y a quasiment aucune interaction, d'où un besoin de déplacements entre ces bassins proche de zéro.

La non pertinence de la ligne 18 ne peut se traduire que par un mauvais bilan socio-économique. La Société du Grand Paris (SGP) a néanmoins réussi à produire un calcul aboutissant à un bilan légèrement positif, ce qui a permis à la ligne 18 d'être déclarée d'utilité publique. Ce calcul est totalement opaque et les valeurs de ses composantes ne sont jamais justifiées. Nous nous sommes livrés à un examen critique, poste par poste, de cette évaluation socio-économique et attirons l'attention sur le résultat de cette analyse : elle montre que ce n'est pas par hasard que cette ligne a toujours été estampillée comme le maillon le plus faible du Grand Paris Express, son bilan bénéfices-coûts étant très largement négatif.


Nous déplorons par ailleurs que cette évaluation socio-économique ait été effectuée par la SGP elle-même, qui était ainsi juge et partie. Cette pratique d'évaluations partiales est hélas trop répandue et mérite de faire l'objet d'une grande réforme, afin d'éviter les évaluations biaisées conduisant à approuver des projets inutiles sinon néfastes sur les plans financier et environnemental.

Nous attirons d'ailleurs l'attention sur le fait que les fausses justifications du Grand Paris Express en matière de vertus écologiques ont permis à la SGP de séduire les marché financiers en émettant des "obligations vertes". Ces titres toxiques peuvent se retrouver dans les portefeuilles de fonds communs de placement sans que les détenteurs s'en rendent compte : un marché de dupes qu'il convient de dénoncer.

Enfin, nous insistons sur le fait que la non réalisation de la ligne 18 serait plutôt salutaire, tant pour les finances publiques que pour la réussite du cluster Paris-Saclay ; mais pour celle-ci, il est urgent de mettre en place rapidement des solutions de desserte alternatives.

 

Nous avons à maintes reprises fait savoir, par exemple lors des Assises de la mobilité sur le plateau de Saclay et les vallées voisines, qu'il y a des solutions alternatives de desserte de Paris-Saclay, à la fois plus adéquates, moins onéreuses et plus rapides à réaliser qu'un métro. L'une d'elles consiste à relier Paris-Saclay au RER B par un téléphérique. Or, force est de constater qu'Île-de-France Mobilités (IdFM, ex-STIF) fait obstruction à toute alternative à la Ligne 18. Récemment encore, IdFM a publié une étude sur la desserte de Paris-Saclay, ayant notamment pour but de discréditer une liaison par câble. Seulement... il se trouve que les données de base sur la fréquentation de Paris-Saclay sont fausses, disqualifiant ainsi les résultats de cette étude : le nombre d'usagers du cluster est évalué à 37 000, alors qu'une étude du STIF de 2010 l'évaluait déjà à 67 000 !

 

Post-scriptum

Publication : 25 mai 2019

À la suite de la publication de notre rapport, la chaîne d'information en ligne viàGrandParis lui a consacré, le 24 mai, une courte émission sous le titre "Pour ou contre la ligne 18". Pour nous contredire, elle donne la parole au président du Conseil départemental de l'Essonne, François Durovray. En quelques phrases, il égrène des méprises que dénonce notre rapport – que manifestement il n'a pas lu – et qu'il partage avec de nombreux autres élus ayant peu de recul en matière d'aménagement urbain et coutumiers des illusions, mythes et idées reçues dans ce domaine. Voici un survol de ces erreurs conceptuelles.

  • "Il suffit d'aller sur le site de la SGP pour se convaincre des gains de temps de parcours qu'apportera la Ligne 18"

Certes, mais ce ne serait un gain réel que dans le cas d'une société entièrement statique, où tous les citoyens resteraient toujours là ils sont. La réalité est tout autre. La morphologie d'une ville n'évolue que très lentement, mais son contenu est beaucoup plus changeant : d'un recensement de la population au suivant, il arrive que la moitié des habitants d'une commune aient changé. Lors de la mise en place d'un gros "tuyau" de circulation (route ou transport collectif), les acteurs urbains (ménages et entreprises) se relocalisent. Les ménages tirent profit de la vitesse gagnée pour augmenter la portée de leur déplacements – typiquement pour s'installer plus loin en périphérie, là où le foncier et l'immobilier sont moins chers – si bien que leur "budget temps de transport" reste à peu près constant. Ce phénomène de dynamique urbaine, qui s'observe dans tous les métropoles et se mesure objectivement par les statistiques, est un exemple d'"effet rebond". Ce n'est même pas un jeu à somme nulle, puisqu'il provoque une augmentation des distances parcourues allant de pair avec un étalement urbain accru.
Voir la section "Le mythe du métro qui va faire gagner du temps et diminuer l'étalement urbain" (pages 41-43) de notre rapport.

  • "La Ligne 18 entraînera une baisse du trafic automobile parce que c'est l'un des objectifs"

Ce n'est pas parce que c'est un objectif qu'on est sûr de le réaliser. La SGP a fait faire des études par la DRIEA Île-de-France, qui montrent que, pour le réseau GPE dans son ensemble, ce transfert modal ne sera que de 0,5 % et que, de fait, le trafic automobile augmentera parce que les besoins de déplacements augmenteront avec la croissance démographique. Ce sera encore plus marqué sur le plateau de Saclay, compte tenu de l'afflux de nouveaux usagers et habitants.
Voir la section "La faiblesse du transfert modal qu'apporterait la Ligne 18" (page 36) de notre rapport.

  • "La Ligne 18 sera rentable, tout simplement parce qu'elle va relier demain des points extrêmement importants : Orly, Massy, plateau de Saclay et Versailles"

L'étude "De Versailles à Orly – Caractéristiques du/des territoire(s)" de l'urbaniste socio-économiste Jacqueline Lorthiois met en évidence que les trois bassins de vie et d'emploi que traverse la Ligne 18 – à savoir Orly/Rungis, Antony/Massy/Saclay/Les Ulis et Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines – sont très hétéroclites et n'ont quasiment rien en commun, ce qui explique d'ailleurs la faible fréquentation prévue pour la Ligne 18 depuis l'origine du projet du GPE. De surcroît, le tracé de la Ligne 18 est partout perpendiculaire aux principaux flux de déplacements. Par conséquent, cette ligne ne pourrait jamais prétendre à un début de semblant de rentabilité. C'est précisément ce manque total de rentabilité socio-économique que dénonce notre rapport.
Voir les sections "Une fréquentation bien trop faible pour justifier un transport lourd" (pages 31-35) et "L'absence de besoin de liaisons performantes avec les aéroports et d'autres pôles d'activité" (pages 38-39) de notre rapport.

  • "Pour accéder au plateau, il n'y a qu'une ligne de bus, déjà saturée, et il n'y a aucune marge de manœuvre"

Il évoque la ligne de bus 91-06 qui relie le plateau à la gare RER de Massy-Palaiseau. Elle est en effet très chargée aux heures de pointe, mais sa capacité va être augmentée grâce à un réaménagement de la gare routière à Massy-Palaiseau. Il y a aussi la ligne de bus 7, qui relie la gare RER du Guichet au quartier de Moulon et dont la fréquence laisse à désirer. Pour palier ces insuffisances, il suffit de mettre en place un téléphérique entre la gare du Guichet (ou celle d'Orsay Ville) et le secteur de Moulon. Cela créera deux voies d'entrée parallèles pour accéder à Paris-Saclay : celle depuis Massy-Palaiseau, empruntée surtout par les usagers travaillant dans le quartier de Polytechnique, et celle depuis Orsay, empruntée principalement par ceux dont le lieu de travail est situé dans le quartier de Moulon. La capacité de débit cumulée de ces deux moyens de rabattement est amplement suffisante pour affronter le trafic prévu pour la Ligne 18. Cette alternative est bien plus puissante que la Ligne 18, cette dernière n'ayant aucune utilité pour les usagers essonniens de Paris-Saclay (hormis les Massicois), dont il convient de rappeler qu'ils sont très largement majoritaires et devraient donc faire l'objet d'une attention particulière de la part du Conseil départemental des l'Essonne.
Une solution alternative, qui permettra de remplacer à la fois le bus 91-06 et le téléphérique est celle d'une liaison CarLina ; cette technologie est en cours de développement et ne manquera pas de s'imposer dès qu'elle aura atteint le stade de produit industriel.
Pour plus de détails, voir nos "Préconisations pour la desserte du plateau de Saclay"