"Au point mort" : c'est l'expression utilisée par la Cour des comptes pour caractériser l'état du cluster Paris-Saclay. Le Monde la reprend à son compte pour qualifier celui de l'Université Paris-Saclay, la pierre angulaire du cluster. Selon Le Figaro, celle-ci se désagrège.

En effet, l'Université Paris-Saclay se réduit comme peau de chagrin. Au départ, elle devait regrouper 19 membres hétéroclites (universités, grandes écoles, instituts de recherche). Ensuite, une scission a eu lieu en 2016, avec un groupe de sept établissements, sous la houlette de l'Université Paris-Sud, qui continuait seul, au sein d'un "premier cercle". Parmi les établissements du "deuxième cercle" se trouvait en particulier l'École polytechnique, qui n'envisageait aucunement de perdre sa personnalité juridique et morale en se fondant dans un magma universitaire. En revanche, CentraleSupélec faisait partie du groupe de sept, mais il nous a semblé hautement probable qu'elle non plus n'accepterait de perdre son identité. Or, en effet, depuis mi-avril, CentraleSupélec considère elle aussi qu'elle ne peut "envisager de perdre la personnalité juridique et morale, même à moyen ou long terme". Si bien que, après bien des péripéties, l'Université Paris-Sud a décidé de faire cavalier seul, avec le soutien de trois organismes de recherche (CNRS, CEA et INRA). Les Universités de Versailles Saint-Quentin et Évry Val d'Essonne y restent associées, mais leur fusion avec l'Université Paris-Sud a aussi été écartée, ce qu'elles n'apprécient nullement. Ainsi, à la querelle entre grandes écoles et universités s'ajoute une querelle entre universités.

"Tout ça pour ça ? Les personnels se sont engagés, ont adhéré, ont monté des diplômes ensemble. On nous vend depuis des années une ambition grandiose et on en arrive à ce résultat… C’est désastreux", s'exclame le professeur Yves Lévi. "C’est un immense gâchis. Cinq milliards d’euros pour en arriver là, alors qu’on a tout pour réussir avec les meilleurs établissements français, c’est affligeant", ajoute le sénateur Michel Berson, qui ne semble pas vouloir admettre qu'il ne suffit pas d'un coup de menton volontariste pour faire boire un âne qui n'a pas soif. Il y a certes un problème d’ego des élites – que leur proximité ne fait qu'exacerber –, mais le problème de fond est ailleurs.

Car ce "ratage sur tous les plans" était parfaitement prévisible et prévu : on ne peut faire vivre sous un même toit des partenaires, aussi brillants soient-ils, qui ont des visions et des traditions diamétralement opposées.

Ensuite, au-delà des rivalités entre ces partenaires, qui ne datent pas d'hier, il était totalement illusoire de croire que leur total soit plus fort que la somme des composantes, bien au contraire : une université performante de quelque 70 000 étudiants est un oxymore.

L'Université Paris-Sud seule est sans doute mieux à même de satisfaire les exigences du jury de l'IDEX, mais il semble assez probable que pour ce dernier le projet de l'Université Paris-Saclay ait perdu toute crédibilité. Résultat des courses à l'automne 2017.

Dans ce nouveau contexte, AgroParisTech n'a plus sa place au sein de l'Université Paris-Saclay. Elle serait donc bien avisée de remettre en cause son projet de déménagement vers le plateau de Saclay. Cela d'autant plus que sur le plateau elle n'aurait qu'un terrain de 4,2 hectares, alors qu'elle dispose de 300 hectares à Grignon, où en outre ses locaux viennent d'être rénovés à grands frais. Une récente tribune dans La Croix interroge le bien-fondé de cette opération, imposée par la direction de l'école en dépit d'une forte opposition des chercheurs et du personnel.

Toutes ces évolutions éclairent d'une lumière crue les errements et approximations grossières dans la conception du cluster Paris-Saclay, qui rappelent cruellement les propos de Rémy Prud'homme sur le mythe des investissements d'avenir. La Cour des comptes a évalué le montant des finances publiques engagées dans Paris-Saclay à 5,3 milliard d'euros, un "colossal gâchis" selon les termes d'Yves Meyer. Ne rajoutons donc pas à cette gabegie celle de l'absurde métro de la Ligne 18 (3 à 5 milliards supplémentaires) !